Charles Baudelaire vivait à une époque de changement rapide et de modernisation énorme. Le transport, l’industrie, la technique : tout se développait à un rythme hâtif. Ses poèmes incluent des réflexions profondes sur ces changements, particulièrement dans « Le Cygne » une partie de Les Fleurs du Mal. Le narrateur du poème pleure les constructions modernes et bourgeoises du Baron von Haussmann et la disparation de l’ancien Paris par le second Empire. Il est donc possible de voir ses lamentations en analysant les images de l’eau dans le poème. Dans « Le Cygne », Baudelaire utilise les images de l’eau dans la nature, dans l’exotisme, et dans la littérature et la mythologie pour évoquer la perte d’un monde primitif et naturel et un Paris ruiné par la modernité.
L’image de la nature la plus évidente dans le poème est le cygne nominal et sa quête futile pour trouver de l’eau. Le cygne (un emblème de la transformation) échappe à la ménagerie, en revanche, il ne peut pas échapper à la modernité d’un nouveau Paris. Avec les juxtapositions entre les luttes du cygne et l’infrastructure de la ville, Baudelaire crée une histoire d’un animal qui ne peut pas vivre naturellement à cause de la modernité. Ses « pieds palmés » (18) et « son blanc plumage » (19), adaptés pour l’eau, frottent un sol sec et artificiel. Ses ailes, créées pour la natation gracieuse, sont réduites à baigner « nerveusement…dans la poudre » (21). Tout est artificiel et étrange, et le cygne est incapable de s’épanouir en tant qu’animal à cause de la modernisation de la ville. D’ailleurs, le cri du cygne pour un orage est comme un appel à la puissance de la nature. Le cygne disait « Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? » (23). Il tende « sa tête avide » (27) à Dieu, appelle l’eau comme source divine de la puissance.
La première représentation de l’eau avec « ce Simoïs menteur » fonctionne également comme une répudiation de la modernité avec la tristesse de la mémoire. Ici, le « petit fleuve » (1) agit comme un outil de mémoire dans son reflet du deuil d’Andromaque. L’eau reflète la mélancholie, et se combine avec les larmes de la veille en deuil (4). C’est par le pouvoir du fleuve que le narrateur peut accéder à sa « mémoire fertile ». L’eau, dans son contexte naturel, est une source de la fécondité de la mémoire : comme la pluie fertilise les récoltes, le fleuve fertilise la mémoire du narrateur d’un monde perdu depuis longtemps. On peut faire une comparaison avec « l’eau des flaques » (11), qui, avec l’intrusion de la modernité, ne peuvent pas couler comme le fleuve et comme la mémoire. Il est donc condamné à oxyder les bâtiments nouveaux, perpétuellement en stagnation.
Les utilisations de l’eau dans le contexte de l’exotisme emploient des images étrangères. Les exemples les plus évidents sont le « beau lac natal » (22) du cygne, et les « matelots oubliés dans une île » (51). Un « lac natal » nous donne l’idée d’une source de la mémoire, un lieu où il peut faire toutes les choses naturelles pour un cygne. Tandis que le cygne est vraisemblablement étranger à Paris, l’ennui de la France est d’autant plus puissant pour un narrateur qui ne peut plus reconnaitre son Paris natal. Les matelots, qui sont les « captifs » et les « vaincus », soulignent l’ironie de la transformation à Paris. Ces marins sont piégés par l’eau, la source de ses identités, la seule chose qu’ils sont formés à maitriser. Leur lutte ressemble à celle du narrateur, qui se retrouve perdu dans un monde qui change d’un coup.
Néanmoins, l’histoire de la « négresse, amaigrie et phtisique » (41) se passe dans « la superbe Afrique » (43) et pas à Paris ; cette image d’eau nous montre la tragédie de la modernisation française dans ses colonies. On voit de l’eau avec « la boue » (42) et « la muraille immense du brouillard » (44). Les rues d’Afrique sont boueuses, et « les cocotiers « (43) ont disparu à cause de leur exploitation par la France, une exploitation qui permet la création de rues pavées et séchées à Paris.
Finalement, Baudelaire connecte le mythe fondateur de Rome avec la perte de l’eau pour montrer comment le Paris de son époque a soif de culture. Paris n’est plus une vieille ville que Baudelaire reconnaît, ni une nouvelle ville splendide. Selon les fables de Rome, deux orphelins, Romulus et Remus, sont nourris par une louve. Romulus, un des frères, fondera Rome. Mais ici, il y a seulement « des pleurs » (46) et « la douleur » (47) pour nourrir la ville de Paris. On peut comparer cela avec la fécondité du Simoïs pour fertiliser la mémoire d’un monde passé (4-5). Baudelaire pense « Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs » (48). Avec cette phrase, il revient à l’idée de fécondité. Les fleurs ne peuvent pas pousser sans eau, et les enfants, l’avenir de la ville, ne peuvent pas grandir et prospérer avec seulement l’eau salée des larmes.
Sarah is a fourth-year student at the University of Chicago double majoring in French and Inquiry & Research in the Humanities. She studies religious violence and state building in Early Modern France, which she plans to develop through a PhD. When not in the archives, she enjoys classic literature, travel, and fashion. Her love of Charles Baudelaire’s poetry has inspired an interest in 19th century French understandings of modernity and progress.
This piece was written as part of Dr. Isabelle Faton’s FREN 205 Écrire en français.